Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 3.djvu/87

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Là dort dans son espoir celle dont le sourire
Cherchait encor mes yeux à l’heure où tout expire,
Ce cœur, source du mien, ce sein qui m’a conçu,
Ce sein qui m’allaita de lait et de tendresses,
Ces bras qui n’ont été qu’un berceau de caresses,

Ces lèvres dont j’ai tout reçu !


Là dorment soixante ans d’une seule pensée,
D’une vie à bien faire uniquement passée,
D’innocence, d’amour, d’espoir, de pureté ;
Tant d’aspirations vers son Dieu répétées,
Tant de foi dans la mort, tant de vertus jetées

En gage à l’immortalité,


Tant de nuits sans sommeil pour veiller la souffrance,
Tant de pain retranché pour nourrir l’indigence,
Tant de pleurs toujours prêts à s’unir à des pleurs,
Tant de soupirs brûlants vers une autre patrie,
Et tant de patience à porter une vie

Dont la couronne était ailleurs !


Et tout cela, pourquoi ? Pour qu’un creux dans le sable
Absorbât pour jamais cet être intarissable ;
Pour que ces vils sillons en fussent engraissés ;
Pour que l’herbe des morts dont sa tombe est couverte
Grandît, là, sous mes pieds, plus épaisse et plus verte !

Un peu de cendre était assez !


Non, non ! pour éclairer trois pas sur la poussière,
Dieu n’aurait pas créé cette immense lumière,
Cette âme au long regard, à l’héroïque effort !
Sur cette froide pierre en vain le regard tombe,
Ô vertu ! ton aspect est plus fort que la tombe,

Et plus évident que la mort.