Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 30.djvu/137

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Quand on me demandait quelle serait ma dame,
Je murmurais tout bas ce seul nom dans mon âme ;
Et, vainqueur ou vaincu dans ces brillants hasards,
Je ne voyais jamais mon prix qu’en vos regards !
Ne me demandez pas depuis quand je vous aime !
Mon cœur pour l’avouer ne le sait pas lui-même.
De cet amour si doux dès l’enfance animé,
Je ne me souviens pas de n’avoir pas aimé.
Et ne trouvant en moi d’image que la vôtre,
Je n’ai jamais pensé qu’on pût aimer une autre
Longtemps ces noms si doux et de frère et de sœur,
Comme ils charmaient ma vie, ont pu tromper mon cœur,
Et je ne cherchais point à démêler la trame
Des doubles sentiments qui régnaient dans mon âme.
Qu’importait à mon cœur de le savoir jamais ?
D’amour et d’amitié j’étais heureux, j’aimais !
Mais au moment fatal où dans les bras d’un traître
Je vous vis, ce moment m’apprit à me connaître ;
J’ai su combien j’aimais par combien j’ai souffert,
Et le ciel m’a puni de l’avoir découvert !
Mais qu’au fond de mon cœur ce secret vive et meure !
L’amour qui fut ma gloire est mon crime à cette heure,
Trop éloigné d’un rang qu’un regard peut ternir,
Ce serait l’offenser que de m’en souvenir !
Reprenez à jamais celui qui fit ma gloire !
Qu’il s’efface en votre âme ainsi que ma mémoire !
Plaignez-moi quelquefois ; mais, fidèle à l’honneur,
Aimez-en un plus digne ! Ai-je donc plus d’un cœur
Et crois-tu qu’à ton gré je puisse à l’instant même
Aimer ce que je hais et haïr ce que j’aime ?
Non, l’amour que mon cœur reçut avec le jour
Qu’on me fit respirer dans le même séjour,
Ce lait qu’au même sein ensemble nous puisâmes,
L’amour qu’un nom si doux a nourri dans nos âmes