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XXXIII


« Voilà que quand nous fûmes arrivés à un long pont de bois peint en rouge, sur le gave qui sépare les bois de Montagnol des bois de Valneige, nous entendîmes des coups de fusil qui roulaient dans le ravin comme des tonnerres. Ne bougez pas, me dit Cyprien : ce sont les parents qui viennent au-devant avec les garçons et les filles du pays pour vous faire fête. »

« Nous les rencontrâmes au milieu du pont. Ils étaient bien trente, tant garçons que filles, tant d’hommes d’âge que petits enfants. Le père Cyprien était en avant, son fils lui donna la bride du mulet. Les enfants jetaient des grains de blé et des coquelicots sous les pieds de la bête, que les planches du pont en étaient toutes rouges ; mais j’étais plus rouge que les coquelicots moi-même, de honte de me voir ainsi honorée comme une reine qui ferait son entrée dans Jérusalem ! moi pauvre servante, qui n’avais pas vingt ans, voyez-vous ; n’est-ce pas pour m’humilier ?

« On me conduisit ainsi de porte en porte jusqu’à l’église, où le curé, avec l’enfant de chœur, nous attendait pour bénir les fiançailles, et de là au chalet du père Cyprien, pour saluer la mère et goûter le pain. Devant toutes les maisons disséminées que nous rencontrions, il y avait auprès de la porte une petite table couverte d’une nappe de chanvre, avec des beignets, des crêpes sucrées, des gâteaux, du vin blanc et des bouquets dans un pot à l’eau, dessus. Les mères et les filles étaient sur le pas de leur porte : il fallait goûter de tout en passant, c’était la coutume. Après cela, on était du pays.