Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 30.djvu/302

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sept mois que le régiment était parti. Josette ne sortait plus, et, comme elle travaillait toujours à côté de moi, derrière le comptoir, on ne voyait que son joli visage, et l’on n’avait aucun soupçon de son malheur. Je disais depuis longtemps aux voisines que j’avais fait un vœu, et que je comptais aller dans deux mois, avec ma sœur, en pèlerinage à la chapelle de Saint-Bruno, et la Grande-Chartreuse ; c’est la coutume du pays, et personne n’y trouva à redire ; au contraire, on disait : « Ces deux jeunes filles sont bien sages ; elles ne craignent ni la route ni les neiges pour aller prier le saint. » Je les accoutumais comme ça à l’idée de notre absence, et je leur disais : Vous tiendrez bien la boutique pour nous pendant quelques jours ? — Oh ! oui ! » qu’elles me répondaient.

« C’était une finesse. Ma vraie pensée, monsieur, était de prendre quelques sous que je ramassais pour cela en vendant à perte mes merceries, et de mener, une nuit, ma sœur à Lyon ou à Grenoble, dans un hospice où elle serait délivrée secrètement ; de confier l’enfant, en le marquant bien, pour le reprendre après le sevrage, et de ramener Josette avec moi à la maison, sans qu’aucune tache portât sur notre nom. Je m’en rapportais, du reste, au bon Dieu. Je disais : « Si elle ne se console jamais, eh bien, elle restera fille et élèvera l’enfant comme si c’était un orphelin déposé la nuit à notre porte ; et si elle se console après quelques années, et que l’enfant vienne a à mourir, eh bien, elle n’aura pas sa réputation perdue pour une faute qu’on ne pardonne jamais aux filles ; et plus tard, eh bien, plus tard, si elle rencontre quelque brave garçon qui lui plaise, qui lui pardonne un mariage qu’elle a cru légitime, et qu’elle consente à se marier, elle se mariera, et tout sera oublié. » Voilà ce que je me disais. Ça déplaisait à Josette de se cacher, elle aurait voulu