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LXXXI


« Enfin, monsieur, personne, personne ne venait plus. Les mères disaient à leurs filles, quand elles leur remettaient un sou pour acheter des pommes : « Vous n’irez pas chez Geneviève ! » On ne m’apportait point d’ouvrage non plus, et je n’osais pas en aller demander ; on m’aurait dit : « Nous n’en avons pas pour vous. » Ah ! monsieur, on parle de la peste ; mais la honte est une pire peste aussi, allez, pour une pauvre fille. Si ma mère ne m’avait pas élevée chrétiennement, je ne sais pas ce que j’aurais fait ; mais je vous le dis, en vérité, que je n’y pensais pas seulement, je serais morte de faim plutôt que de mal faire.


LXXXII


« Mais attendez, monsieur, ce n’est pas tout. Voilà que malheureusement j’avais acheté, le printemps d’avant, pour cinquante écus de marchandise à crédit chez les gros marchands de la Grande-Rue, pour les payer en automne, après la saison de la revente. Personne n’achetant plus chez moi, je ne pouvais pas payer mes marchands en gros. Je ne pouvais pas rendre non plus les marchandises ; car, pendant les deux mois que j’avais été en prison et que ma boutique avait été fermée avec la clef dans ma poche, le chat ne trouvant plus rien à manger sous le comptoir et s’étant sauvé par la lucarne, vous jugez si les rats avaient fait un beau tapage dans le magasin. Et les hardes donc !