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nous avaient toujours un peu regardées de haut, à cause de la fortune de leur mère, qu’elles avaient, et que nous autres, d’une autre mère, nous n’avions pas. Ça ne leur faisait pas plaisir d’avoir des parents pauvres, des filles de vitrier ambulant, dans Voiron.

« Elle me reçut bien, m’offrit à manger et à boire, et même elle me fit un lit dans le grenier pour coucher à côté de la servante. « Mais nous avons des enfants, des jeunes filles qui seront bientôt à marier, me dit-elle en me raisonnant d’amitié ; tu sais ce que l’on dit de toi dans le pays ; ça ne me regarde pas, je n’ai rien à y voir ; je te crois honnête. Pourtant, si on voyait mes filles avec une mauvaise tante, que ne dirait-on pas ?… Et puis tu as mal fait tes affaires ; tu as été vendue en public, par contrainte. Ça nuit au crédit ; mon mari est dans le commerce, vois-tu ; tu comprends ? Tu ne peux pas rester ici ; nous allons te garder quelques jours, mais il ne faut pas qu’on le sache par la ville. La semaine écoulée, il faudra chercher ; il faut te mettre en condition un peu loin d’ici. Nous te donnerons pour faire la route. »

« Je compris cela et je ne la blâmai pas, monsieur ; chacun pense pour ses enfants. C’était pénible, mais ce n’était que juste. Je la remerciai, je mangeai un morceau avec la famille, le soir, sur le bout de la table, et j’allai me coucher avec la servante, après l’avoir aidée à approprier la maison et à relaver les assiettes.


LXXXIV


« La difficulté n’était pas pour moi d’entrer en condition et de servir celui-ci ou celle-là ; au contraire. J’y étais