Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 30.djvu/344

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.


XCVI


« — Oui, monsieur, me dit-elle en relevant la tête avec plus de fierté qu’elle n’en avait eu jusque-là dans son attitude ; je me résolus, plutôt que de rentrer dans Voiron et d’humilier ma sœur aînée, mes nièces et mes neveux riches, à demander la charité.

« Par exemple, une fois que je n’eus plus rien sur moi et plus d’espoir de trouver une place, j’évitai les villes, les gros bourgs et les grandes routes, et je me dis : « Il vaut mieux aller par les chemins de traverse, on ne te verra pas, et il vaut mieux demander ta vie aux pauvres gens de la campagne, aux portes des maisons isolées, qu’aux riches ou aux marchands des grandes villes. Là où il y a plus de misère, il y a plus de pitié et moins d’affront. »

« C’est singulier pourtant, mais c’est comme cela. On dirait que les riches pensent : « Bah ! nous ne tomberons jamais si bas, » et que les pauvres pensent : « Ah ! nous pourrions bien être comme cela demain. » Cela leur fait mieux comprendre la parole de Dieu, vous savez : « Faisons aux autres ce que nous voudrions qui nous fût fait. » Et puis, j’ai toujours vu que la misère ouvrait le cœur et que la richesse le durcissait. Cela n’est pas vrai pour tous, par exemple ; car il y a les riches du bon Dieu ; ceux-là ont autant de plaisir à donner que les pauvres à recevoir. Mais on ne tombe pas toujours à la porte du Samaritain. Il vaut mieux, quand on baisse la tête, passer sous les petites portes que sous les grandes. Et puis les misérables n’ont pas honte de la misère. Chez eux, il n’y a pas de pain quelquefois, mais