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que je voyais fumer le soir, et où je me présentais pour demander les restes du pain de seigle et un peu de paille ou de foin dans un coin pour la nuit. On me faisait approcher du feu ; on mêlait souvent à mon pain un peu de lait, de beurre ou de miel. On me mettait ordinairement dans l’écurie des vaches, où il fait si chaud, qui sent si bon, et où l’on est distrait par le ruminement paisible des bêtes. Quand j’étais trop mouillée encore ou trop fatiguée pour repartir, on me disait : « Restez tant que vous voudrez, pauvre femme, vous porterez bonheur au bétail ; nous n’avons jamais fermé la porte à la misère. On ne sait pas si ce n’est pas sa providence et son salut à qui on refuserait l’entrée de sa maison. »

« Mais je n’abusais pas, monsieur, et toutes les fois que mes pauvres jambes pouvaient me porter, je remerciais bien la maîtresse, j’apprenais une prière ou l’autre aux petits enfants, et je m’en allais ailleurs pour ne pas être à charge trop longtemps au même foyer. On disait : « C’est une pèlerine qui a fait un vœu à saint Bruno, et qui l’accomplit dans la rude saison. » Mais on ne m’en disait pas plus haut que cela. Le paysan n’est pas curieux, monsieur. Chacun a son idée, dit-on, et les secrets des autres ne sont pas les miens.


XCIX


« Enfin, monsieur, la vie n’aurait pas été trop pénible, s’il n’avait pas fallu changer tous les jours de visage et si la saison n’avait pas été si dure. Mais nous étions déjà entre la Noël et les Rois ; plus je montais, plus la glace, la neige et les brouillards se figeaient comme une huile blanche sur