Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 30.djvu/377

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de ces légers services qu’elle me rendait vingt fois dans la journée. Elle ne croyait pas qu’un récit si simple valût la peine de se reposer après l’avoir achevé, encore moins qu’il fût de nature à produire en moi la moindre admiration. D’ailleurs, elle ne se regardait jamais elle-même ; elle ne se croyait pas, dans la pensée d’autrui et dans la sienne même, plus d’importance qu’un de ces brins de chanvre qu’elle foulait sous ses sabots ou qu’elle balayait au feu après les avoir tillés. « Je ne suis pas quelqu’un, moi, disait-elle ; je suis quelque chose. Dieu veuille seulement que je sois encore bonne à je ne sais quoi ! » Jamais je n’avais vu un si complet désintéressement de soi-même que celui de cette brave fille.

Je restai longtemps après ce récit à regarder la braise du foyer sans dire un mot, car je craignais de remuer plus longtemps dans ce cœur simple les souvenirs de Cyprien, de Josette, de Jocelyn, qui devaient en renouveler les émotions. Je me reprochais presque ma curiosité, puisqu’elle lui avait coûté quelques larmes. À quoi bon troubler l’eau qui dort pour prendre dans sa main un peu de sable qui est au fond, et pour le regarder au soleil ? Ce sable est fait pour rester sous l’eau. Il en est ainsi du limon pur ou impur d’une vie cachée. Il faut le laisser au fond de son bassin.

Je sifflai mon chien, et j’allai me coucher sans dire adieu à Geneviève, en amortissant le bruit de mes pas dans la cuisine et dans le corridor, de peur de lui laisser prendre garde à moi. Elle tricotait toujours.