Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 30.djvu/414

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

sir et sans crainte, racontez-nous, à Geneviève et à moi, par quel concours de circonstances et de sentiments, vous qui paraissez si franche et si consciencieuse, vous avez pu être amenée à mentir et à tromper ainsi celui que vous aimez tant ?

« — Je le veux bien, dit-elle ; je ferai pénitence, par la honte que j’en aurai devant Geneviève, de la faute que j’ai commise. »

Geneviève, tous les traits tendus et recueillis par l’attention, écoutait d’avance de toutes ses oreilles, espérant trouver dans le récit la confirmation de ses pressentiments sur l’enfant, et quelques preuves de plus de son origine.


CLII


Quand j’ai épousé Jean, j’avais seize ans, dit Luce ; nous ne savons pas ni l’un ni l’autre quand nous avons commencé à nous courtiser, nous avons été élevés ensemble dans la chaumière de sa mère. Nous étions deux agneaux de la même étable. Son père était magnien aussi, il avait gagné sou par sou son petit domaine défriché sur la montagne. Sa mère gagnait sa vie en prenant à l’hospice des nourrissons et en les allaitant pour quatre francs par mois ; après quoi, quand ils avaient l’âge d’aller en champ, elle les mettait en maîtres et recevait un petit loyer pour leur travail. Je suis moi-même un de ces pauvres enfants abandonnés, nourris et élevés par elle. C’est sans doute ce qui m’a plus tard inspiré ma faute. On aime ceux qui portent le même nom méprisé du monde que nous. Cependant, quand je fus grande, la mère de Jean, qui s’était attachée à moi plus qu’aux autres, parce que j’étais plus délicate de