Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 30.djvu/419

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moitié dans notre verger et la moitié dans la cour de la mère Maraude. C’est un arbre qui a bien cent ans de vie, et qui porte les bonnes années plus de quatre paniers d’âne de bonnes poires rouges comme des feuilles de cerisier après la gelée d’automne. Mais, hélas ! nous n’avions guère que le plaisir de les voir mûrir et rougir sur l’arbre ; dès qu’elles étaient mûres, la mère Maraude cueillait sa moitié ; et, les nuits suivantes, le vent ou les corneilles faisaient si bien, à son dire, qu’il ne restait pas grand fruit de notre côté. Mais nous voyions les feuilles sur le pré, par exemple, comme si le vent et les oiseaux avaient eu des frondes et des perches pour battre l’arbre ! Il était bien visible pour nous que la mère Maraude en avait pour eux, et la dépouille de ce malheureux poirier, qui nous donnait toujours l’espérance et rarement un plein chapeau de ses fruits, était, chaque année, entre la mère Maraude et nous, le sujet de querelles qui nous rendaient la vie dure et qui nous faisaient dire de mauvaises paroles à cette mauvaise voisine. J’avais toujours peur que Jean ne finît par la battre, et Jean avait toujours peur qu’elle ne finît par mettre le feu à notre pauvre toit de genêts.


CLVII


« Eh bien, monsieur, vous ne croiriez pas que ce qui me faisait le plus de peine d’avoir cette méchante voisine si près de nous, qui aimions la paix, ce n’était pas tant de voir le poirier récolté et les autres arbres du verger visités tour à tour la nuit, que d’entendre tout le jour crier les malheureux petits nourrissons qu’elle élevait sur son grenier, sans comparaison, comme des cabris dans une