Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 30.djvu/42

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yeux la pierre de la chapelle où elle a été couchée par des mains étrangères ; il faut que je voie ce cloître, ces jardins mornes, cette cellule, cet horizon de cyprès, de pierres et de briques, qu’elle a vus si longtemps, en pensant à nous, et qu’elle m’a si bien et si souvent décrits qu’il me semble que j’irais les yeux fermés. » Et puis, quand le jour venait, je sentais un tel serrement de cœur, un pied si résistant à cette rue, que je disais : « Non, pas aujourd’hui. Je ne me sens pas assez fort, ou pas assez calme, ou pas assez saint, pour causer de si près avec une âme !… » Deux fois même j’ai passé par la Longara, en revenant de Saint-Pierre, comme pour m’apprivoiser peu à peu à l’idée, à la maison, à la tombe !… Une fois même j’ai levé la main pour sonner à la petite porte du couvent, puis j’ai baissé le bras et je me suis sauvé, comme si j’avais eu peur qu’on n’eût aperçu mon geste et qu’on ne vînt m’ouvrir. Enfin, tu sais tout ce qui se passe de contradictions, d’enfantillages et de superstitions dans nos âmes quand elles sont seules. J’ai laissé passer un mois, puis un autre, puis la moitié d’un autre, sans oser y aller. Mais j’avais le projet (je dis : j’avais hier, car aujourd’hui je ne l’ai plus), j’avais le projet de partir pour la Sicile, où mon père a un vieil ami anglais qu’il m’a recommandé de voir. Je n’avais pas au palais la moindre relique de Clotilde, un cheveu, un bijou, un ruban, une robe ; rien ; tout était resté au couvent après sa mort, à ce que me disait le concierge du palais de mon père. Je ne voulais pas absolument quitter Rome sans emporter un talisman de cet ange sur moi. Tu sais que je ne suis pas superstitieux comme les enfants de mon pays de Bretagne ; mais je suis mémoratif et fidèle comme eux. Dans la relique, ce n’est pas la relique que j’aime ; c’est la pensée ! Je ne sais pas si la pensée ne s’incorpore pas