Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 30.djvu/70

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beaux frênes jamais étronçonnés qui semblaient sortir des flots du lac. Au delà des frênes, la pente se précipitait et allait mourir dans les cailloux du bord, que les vagues agitaient, quand il y avait du vent, de ce petit bruit d’enfants qui jouent avec des pierres. Il y avait là, au pied d’un immense saule blanc, un banc de mousse entre les racines de l’arbre d’où l’on voyait à gauche et en face Lausanne, Vevey, Villeneuve, Saint-Gingo, les gorges du Valais et les innombrables cimes blanches de neiges éternelles qui servent comme de degrés au Mont-Blanc. Régina m’y entretenait sans cesse pour me demander le nom de cette montagne, puis de celle-ci, puis de cette autre, puis si de l’autre côté de cette neige on était en Italie, puis si l’on apercevait Rome du haut de ces sommets, puis combien il y avait de jours et d’heures de marche, en courant toujours, du pied de ces monts à la porte du Peuple ? On voyait que sa pensée ne s’asseyait pas un seul instant avec elle dans ce délicieux séjour, et que son âme franchissait ces hauteurs plus vite que ces rayons roses sur ces neiges pour aller frapper d’une continuelle aspiration les murs noirâtres du château Saint-Ange. Elle n’avait pas d’inquiétude sérieuse sur le sort de Saluce, protégé par sa qualité d’étranger contre les sévices qui auraient pu atteindre un Romain ; mais elle avait ces impatiences de la jeunesse, qui compte pour des siècles sans retour et sans fin toutes les minutes perdues pour la passion.

Je n’essayais nullement de la consoler, inconsolable moi-même d’une bien autre absence ; je savais, par une expérience précoce, que le rôle de consolateur, importun, intempestif, odieux, pendant que la douleur ne veut pas s’oublier elle-même, ne devient agréable et doux qu’après que la douleur est amortie et quand elle court elle-même