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vivacité pour s’éloigner de moi et continuer son chemin vers le lac : « C’est vous qui auriez eu son cœur ! » dit-elle plus bas.

Le soir, elle me pria de la mener bien loin se fatiguer dans la montagne, pour reprendre à force de lassitude un peu de sommeil. Je lui obéis. Nous marchâmes depuis deux heures après midi jusqu’à la nuit tombante dans les vignes, dans les ravins et sous les châtaigniers qui croissent en bouquets sur les pieds du Jura.

Ses oncles, qui étaient arrivés à Genève, devaient venir la prendre le lendemain pour la ramener à Rome par la route du Valais et de Milan. Elle semblait vouloir prolonger le plus possible la dernière journée qui lui restait à passer avec moi. Elle était si jeune, si belle, si transpercée des rayons dorés du soleil, si incorporée avec ce cadre merveilleux du ciel, des bois, des eaux, dans lequel je la voyais m’éblouir et d’où j’allais la voir disparaître ; j’étais si jeune et si sensible à cette beauté moi-même, que si je n’avais été défendu par l’ombre de Saluce qui s’interposait entre nous, je n’aurais pu résister à son éblouissement, et j’aurais mis mon cœur sous ses pieds comme ces feuilles tombées de l’arbre qu’elle foulait en marchant.

Elle semblait elle-même s’en apercevoir et rechercher volontairement plutôt que fuir les rencontres de regards ou de paroles qui auraient pu amener un aveu ou une explosion de nos deux cœurs. Une pénible incertitude pesait sur notre attitude et sur notre entretien. Je la ramenai jusque dans la cour de la maison, où l’ombre des platanes et des murs augmentait la nuit, sans avoir éclairci d’un mot ce qui se passait en elle et en moi. Je devais partir dans la nuit. Elle s’arrêta et se retourna vers moi avant de monter les premières marches du perron.

« Est-ce que vous ne reviendrez jamais à Rome ? me