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est incapable de se reprendre à aucun charme ici-bas. » Il me montra du doigt le tilleul énorme et touffu, sous l’ombre duquel j’avais arrêté mon cheval.

« Tu vois bien ce tilleul, me dit-il, il est plus vieux que toi, n’est-ce pas ?

« — Oui.

« — Eh bien, je l’ai déjà coupé cinq fois en vingt ans, et il a plus de séve et de branches que quand j’arrivai ici.

« — Oui, lui répondis-je tristement, mais c’est un arbre, et je suis un homme. Essayez de lui fendre l’écorce et de lui brûler la moelle, et vous verrez s’il refleurira ! »

Nous rentrâmes en causant et en badinant ainsi, lui gaiement, moi gravement. Je renvoyai le postillon avec un billet, disant que le nom de mon ami Saluce était un talisman pour moi, et que je descendrais presque aussi vite que le messager au Pont-de-Pany. Je ne pris que le temps de remonter à cheval, et je galopai par un sentier dans les bois qui abrégeait de moitié la route, pour arriver avant la nuit au Pont-de-Pany.


V


Je descendis de cheval. Un courrier italien, en magnifique livrée, me conduisit à travers la cour vers un petit pavillon isolé donnant sur les prés et qui faisait partie de l’auberge. Il y avait deux ou trois chambres pour les voyageurs de distinction que la nuit surprenait souvent à cette poste, au pied de la montagne de Sombernon, où l’on n’aimait pas à s’aventurer dans les ténèbres. Le courrier m’annonça à une femme de chambre ou nourrice en costume des paysannes de Tivoli, costume qui me fit battre le