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TOUSSAINT LOUVERTURE.

adrienne, l’embrassant.

Pour venir de Toussaint m’apporter les nouvelles
Si le vent y passait j’embrasserais ses ailes !
Mais quel esprit caché t’a dit que j’étais là ?

isaac.

L’esprit qui me l’a dit, regarde : le voilà.

Il montre son cœur.

Depuis l’éclair soudain de la scène imprévue,
Où près du mendiant je t’avais entrevue,
Je soupçonnais toujours, et sans savoir pourquoi,
Que l’enfant qui menait l’aveugle, c’était toi.
Sous ces haillons impurs qui flétrissaient tes grâces
Je t’avais reconnue et je suivais tes traces ;
Je ne sais quel instinct me faisait te chercher
Partout où je pensais qu’on pouvait te cacher.
Ce matin, en chassant, non loin des sentinelles,
De beaux insectes d’or dont j’enviais les ailes,
Fatigué de courir après eux, je m’assis
Tout seul au bord du camp, sur l’herbe du glacis ;
Je regardais la-bas, la-bas dans les montagnes,
Bleuir l’Artibonite à travers les campagnes ;
Je m’essuyais les yeux et je voyais mes pleurs,
Sans les sentir couler, dégoutter sur les fleurs…
Et puis je les fermais, pour mieux voir, en moi-même,
Mon père, ma nourrice et toi… tous ceux que j’aime…
Le rêve était si clair et l’objet si présent,
Que je vous embrassais, tiens ! tout comme à présent.

Il l’embrasse.

Au milieu de l’extase où se brisait mon âme,
J’entendis tout à coup un triste chant de femme
Qui sortait du gazon, tout près, à quelques pas,
Faible, comme si l’herbe avait chanté tout bas ;
J’y collai mon oreille afin de mieux entendre ;
C’était ta voix, grand Dieu ! ta voix mouillée et tendre ;