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ACTE II, SCÈNE II

Et c’est vous ! vous, mes fils, qui venez !… Dans mon sein
N’ai-je donc quarante ans couvé mon grand dessein,
Dissimulé ma force, évaporé ma haine,
Bu ma honte, joué, chien souple, avec ma chaîne,
Et, serrant le fer nu dans mon poing frémissant,
Tracé vers l’avenir ma route avec mon sang,

Il découvre sa poitrine et laisse voir ses cicatrices.

Que pour voir, ô dernière, irréparable injure !
Mes fils me rejeter ce sang à la figure :
Et dire, en reniant le coup que j’ai frappé :
Reprenez votre mors, vous vous êtes trompé ! »
Quoi ! c’est vous qui voulez que j’abdique, et qu’on dise :
Toussaint mena son peuple à la terre promise,
Mais il ne verra pas le bien qu’il a conquis !…
Seul, il eût été roi !… mais il avait des fils !… »
Allez ! cœurs dont l’Europe a ramolli les fibres,
Vous emportez mon sang, mais je vous laisse libres.
Choisissez sans contrainte entre les blancs et moi !

isaac.

Dût l’île s’engloutir, moi j’y reste avec toi !

adrienne, tendant les bras à Albert.

Albert ! regarde-nous !

isaac, cherchant à attirer Albert à Toussaint.

Albert ! regarde-nous ! Tu regardes la terre !
Oh ! parle, dis un mot !

toussaint.

Oh ! parle, dis un mot ! C’est parler que se taire !
Va, pars, n’hésite plus !

S’attendrissant tout à coup.

Va, pars, n’hésite plus ! Tu partirais, mon fils ?
Trahissant à la fois ton père et ton pays !
Mon Albert ! mon amour ! le rayon de mon âme !
Mon premier-né, l’enfant de ma première femme !