Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 32.djvu/272

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
271
RAPHAËL

LV

De Bon Port nous remontâmes, en tournant l’extrémité de la colline de Tresserves, au nord, vers les hautes montagnes qui dominent la vallée de Chambéry à Genève. Nous revîmes les plateaux, les pâturages, les chaumières ensevelies sous les noyers, les croupes gazonnées où mugissent les jeunes génisses. Leur clochette sonne perpétuellement leur marche dans l’herbe, pour avertir les bergers qui les gardent de loin. Nous nous élevâmes jusqu’aux derniers chalets. Le vent glacial de l’hiver y avait déjà brûlé la pointe des herbes. Nous nous rappelâmes les heures délicieuses que nous y avions passées, les paroles que nous y avions dites, les illusions de séparation entière du monde que nous nous y étions faites, les soupirs que nous y avions confiés aux vents et aux rayons des montagnes, pour les porter en haut.

Nous rappelâmes à nous toutes ces heures envolées, toutes ces paroles, tous ces songes, tous ces regards, toutes ces aspirations, comme on démeuble une maison de ce qu’on a de plus précieux, quand on la quitte. Nous ensevelîmes mentalement tous ces trésors, tous ces souvenirs, toutes ces espérances dans les murs de bois de ces chalets fermés jusqu’au printemps, comme dans un dépôt de nos âmes, pour les retrouver intacts au retour, si nous devions y retourner jamais !