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RAPHAËL

derrière la porte que je refermais : « Il n’y a plus de demain pour nous. »

Il y en eut encore, mais ils furent courts et amers comme les dernières gouttes d’une coupe vidée. Nous partîmes avant le jour pour Chambéry, afin de ne pas montrer au jour nos joues pâlies par l’insomnie et nos yeux rougis de larmes. Nous passâmes la journée dans une petite auberge du faubourg d’Italie. Cette auberge, dont les galeries en bois donnaient sur un jardin traversé d’une petite rivière, nous faisait encore illusion quelques heures de plus en nous rappelant les galeries, la solitude et le silence de notre demeure à Aix.

LIX

Nous voulions, avant de quitter Chambéry et sa chère vallée, aller visiter ensemble la petite maison de Jean-Jacques Rousseau et de madame de Warens aux Charmettes. Un paysage n’est qu’un homme ou une femme. Qu’est-ce que Vaucluse sans Pétrarque ? qu’est-ce que Sorrente sans le Tasse ? qu’est-ce que la Sicile sans Théocrite ? qu’est-ce que le Paraclet sans Héloïse ? qu’est-ce qu’Annecy sans madame de Warens ? qu’est-ce que Chambéry sans Jean-Jacques Rousseau ? ciel sans rayons, voix sans échos, sites sans âmes. L’homme n’anime pas seulement l’homme, il anime toute une nature. Il emporte une immortalité avec lui dans le ciel, mais il en laisse une autre dans les lieux qu’il a consacrés. En cherchant sa trace on la retrouve et l’on converse réellement avec lui.

Nous primes avec nous le volume des Confessions dans lequel le poëte des Charmettes décrit cette retraite champêtre. Rousseau y fut jeté par les premiers naufrages de sa