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RAPHAËL

blée qui lui faisait voir alors l’insulte dans le bienfait, la haine dans l’amitié, ne lui fit pas voir aussi la courtisane dans la femme sensible et le cynisme dans l’amour ? J’ai toujours eu ce soupçon. Je défie un homme raisonnable de recomposer avec vraisemblance le caractère que Rousseau donne à son amante des éléments contradictoires qu’il associe dans cette nature de femme. L’un de ces éléments exclut l’autre. Si elle avait assez d’âme pour adorer Rousseau, elle n’aimait pas en même temps Claude Anet. Si elle pleurait Claude Anet et Rousseau, elle n’aimait pas le garçon perruquier. Si elle était pieuse, elle ne se glorifiait pas de ses faiblesses, elle les déplorait. Si elle était touchante, belle et facile, comme Rousseau nous la dépeint, elle n’était pas réduite à chercher ses adorateurs parmi les vagabonds sur les grands chemins et dans les rues. Si elle affectait la dévotion dans une pareille vie, elle était une femme de calcul et une hypocrite. Si elle était une hypocrite, elle n’était pas la femme ouverte, franche et abandonnée des Confessions. Ce portrait n’est pas vrai. C’est une tête et un cœur de fantaisie. Il y a un mystère la-dessous. Ce mystère est peut-être dans la main égarée du peintre plutôt que dans la nature de la femme dont il reproduit les traits. Il ne faut ni accuser le peintre qui ne possédait plus son jugement, ni croire au portrait qui défigure une adorable création, après l’avoir ébauchée.

Quant à moi, je n’ai jamais cru que madame de Warens se reconnût dans les pages suspectes de la démence de Rousseau. Je l’ai toujours restituée dans mon imagination telle qu’elle apparut à Annecy au jeune poëte, belle, sensible, tendre, un peu légère, quoique réellement pieuse, prodigue de bontés, altérée d’amour, et brûlant de confondre les doux noms de mère et d’amante dans son attachement pour cet enfant que lui jetait la Providence et qu’adoptait son besoin d’aimer. Voila le portrait vrai, tel