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RAPHAËL

qu’on venait me l’arracher ou la chasser de ma chambre. Dans mes longues courses sur les montagnes ou dans les prairies brumeuses et sans horizon qui bordent la rivière, j’emportais sa lettre du matin. Je m’asseyais plusieurs fois sur les rochers, ou au bord de l’eau, ou sur les glaçons, pour la relire. Il me semblait, chaque fois que je la relisais, y découvrir un mot ou un accent qui m’avait échappé. Je me souviens que je dirigeais toujours machinalement ces courses du côté du nord : chaque pas que je faisais vers Paris me rapprochait d’elle et diminuait d’autant. la distance qui nous séparait !

J’allais quelquefois très-loin sur les routes de Paris, dans cette intention. Quand il me fallait revenir sur mes pas, je luttais longtemps avec moi-même. J’étais triste ; je me retournais plusieurs fois vers ce point de l’horizon où elle respirait. Je revenais plus lourd et plus lentement.

Oh ! que j’enviais les ailes des corbeaux chargées de neige, qui volaient vers le nord, à travers la brume ! Oh ! que les voitures que je voyais passer sur la route courant vers Paris me faisaient mal ! Que n’aurais-je pas donné de mes jours de jeunesse inutile pour être à la place d’un de ces vieillards désœuvrés qui regardaient d’un œil distrait par les glaces des portières ce jeune homme solitaire marchant a contre-sens de son cœur sur le bord du chemin ! Oh ! que les jours, cependant si courts, de décembre et de janvier, me semblaient interminablement longs !

Il n’y avait pour moi qu’une bonne heure dans toutes ces heures : c’était celle où j’entendais de ma chambre les pas, la crécelle et la voix du facteur qui distribuait les lettres aux portes du quartier. Dès que je l’entendais, j’ouvrais ma fenêtre. Je l’apercevais montant du fond de la rue, les mains pleines de lettres qu’il remettait aux servantes, et attendant devant chaque maison qu’on lui rapportât le port. Combien je maudissais la lenteur de ces