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RAPHAËL

les ai brûlées en pleurant, en m’enfermant comme pour un crime, en disputant vingt fois à la flamme la page à demi consumée pour la relire encore une fois !… Je les ai brûlées parce que la cendre même en eût été trop chaude pour la terre, et je l’ai jetée aux vents du ciel !

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LXXIX

Le jour arriva enfin où je pus compter les heures qui me séparaient encore de Julie.

Toutes les petites ressources que je parvins à rassembler ne s’élevaient pas à la somme suffisante pour m’entretenir trois ou quatre mois à Paris. Ma mère, qui voyait mon angoisse, sans en savoir le vrai motif, tira du dernier de ses écrins, déjà vidés par sa tendresse, un gros diamant monté en bague : le seul, hélas ! qui lui restât des bijoux de sa jeunesse. Elle me le glissa secrètement dans la main en pleurant.

« Je souffre autant que toi, Raphaël, me dit-elle avec un visage triste, de voir ta jeunesse inoccupée se consumer dans l’oisiveté d’une petite ville ou dans les rêveries des champs. J’avais toujours espéré que les dons de Dieu que j’ai bénis en toi, dès ta première enfance, te feraient remarquer du monde et t’ouvriraient quelque carrière de fortune et d’honneur. La pauvreté contre laquelle nous luttons ne nous permet pas de te l’ouvrir nous-mêmes. Dieu ne l’a pas voulu jusqu’ici. Il faut se soumettre avec résignation à ses volontés, qui sont toujours les meilleures. Cependant je te vois avec désespoir dans cette langueur morale qui succède aux efforts infructueux. Tentons encore une fois la destinée. Pars, puisque le sol de ce pays-ci te