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RAPHAËL

imposé de longues heures de lecture, d’étude et de travail, pour faire disparaître le temps entre l’heure où je quittais Julie et l’heure où je devais la revoir. Je voulais me perfectionner moi-même, non pour les autres, mais pour elle. Je voulais que celui qu’elle aimait ne la fît pas du moins rougir de sa préférence ; que les hommes supérieurs qui formaient sa société et qui me rencontraient quelquefois dans son salon, debout au coin de sa cheminée, comme une statue de la Contemplation, découvrissent, si par hasard ils m’adressaient la parole, une âme, une intelligence, une espérance, un avenir, sous l’extérieur de ce jeune inconnu timide et silencieux.

Et puis je me faisais je ne sais quels rêves confus de carrière éclatante, de destinée active qui me saisirait peut-être un jour, comme le tourbillon arrachait la feuille à l’arbre de l’humble jardin de mon père, pour l’enlever au plus haut des airs ; je me figurais Julie jouissant de me voir de loin combattre avec la fortune, lutter contre les hommes, m’élever en force, en grandeur, en vertu, et se glorifiant tout bas de m’avoir deviné avant la foule et de m’avoir aimé avant la postérité ! Vains songes qu’emportait le matin et qui ont abouti à l’obscurité dans ce nid dispersé de mes pères !…

LXXXIX

Tout cela, et surtout le loisir forcé auquel l’obsession d’une seule pensée, le dédain de tout le reste, le dénûment d’argent qui m’interdisait d’autres distractions, et la réclusion claustrale dans laquelle j’étais enfermé, me condamnaient à la vie d’étude la plus intense et la plus passionnée que j’eusse menée jamais. Je passais la journée tout en-