Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 32.djvu/336

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
335
RAPHAËL

insolence envers la nature et envers le temps. Si ce sentiment de la supériorité des autres est une illusion, c’est une illusion du moins qui grandit l’humanité. Elle vaut mieux que l’illusion qui la rapetisse. Hélas ! on la réduit assez tôt à ses justes et tristes proportions !

Ces hommes faisaient, au commencement, peu d’attention a moi. Je les voyais se pencher quelquefois vers Julie et lui demander tout bas quel était ce jeune homme. Ma physionomie pensive et l’immobilité modeste de mon attitude paraissaient les étonner et leur plaire. Insensiblement ils se rapprochaient de moi ; ils dirigeaient avec une bienveillante intention de geste quelques-unes de leurs paroles de mon côté. C’était comme un encouragement indirect à me mêler à l’entretien. Je le faisais en peu de mots pour leur exprimer ma reconnaissance. Mais je rentrais vite dans mon ombre et dans mon silence, de peur de prolonger l’entretien en le relevant. Je ne les considérais que comme le cadre d’un tableau. Le seul intérêt réel pour moi, c’était le visage, la parole et l’âme de celle que leur présence me dérobait.

CX

Aussi quelle joie intime et quels battements de cœur quand ils sortaient, quand j’entendais sous la voûte le roulement de la voiture qui emportait enfin le dernier d’entre eux ! Nous restions seuls. La nuit était avancée. La sécurité de nos heures solitaires augmentait à chaque pas de l’aiguille de la pendule qui s’approchait de minuit. On n’entendait plus que de rares voitures résonner par intervalles sur les pavés du quai, ou le ronflement du vieux concierge qui dormait sur une banquette du vestibule, au pied de l’escalier.

Nous nous regardions sans parler d’abord, comme