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RAPHAËL

davantage et de jeter avec chacun de ces souvenirs un aliment de plus dans ce foyer d’enthousiasme où il jouit lui-même de se sentir consumé !…

CXIV

Quelquefois Julie pleurait tout à coup d’une tristesse étrange. C’était de me voir condamné, par cette mort toujours cachée mais toujours présente entre nous, à n’avoir devant les yeux, en elle, qu’un fantôme de bonheur qui s’évanouirait et ne me laisserait qu’un linceul dans les mains !… Elle gémissait, elle s’accusait de m’avoir inspiré une passion qui ne pourrait jamais me rendre heureux !

« Oh ! je voudrais mourir, mourir vite, mourir jeune et encore aimée, me disait-elle. Oui, mourir ! puisque je ne puis être à la fois que l’objet et l’illusion de l’amour pour toi ! ton délire et ton supplice tout ensemble ! Ah ! c’est le plus divin des bonheurs et la plus cruelle des condamnations confondus dans la même destinée ! que l’amour me tue ! et que tu me survives pour aimer, après moi, selon ta nature et selon ton cœur ! Je serai moins malheureuse en mourant que je ne le suis en sentant que je vis de tes peines, et que je te voue à la perpétuelle mort de ta jeunesse et de ton avenir !

» — Oh ! blasphème contre la suprême félicité, lui répondis-je en posant ma main tremblante sur ses yeux pour recueillir ses larmes. Quelle vile idée vous faites-vous donc de celui que Dieu a trouvé digne de vous rencontrer, de vous comprendre et de vous aimer ? N’y a-t-il pas plus d’océans de tendresse et de bonheur dans cette larme qui tombe toute chaude de votre cœur sur ma main et que je bois comme la goutte d’une source céleste, que dans les