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RAPHAËL

me parlant ainsi, il se leva et me rendit le manuscrit. Je ne cherchai point à contester avec la destinée ; elle parlait pour moi par la bouche de cet oracle. Je remis le volume sous mon habit, je remerciai M. D***, je m’excusai du temps que je lui avais fait perdre, et je descendis, les jambes brisées et les yeux humides, les marches de l’escalier. Ah ! si M. D***, homme bon, sensible, patron des lettres, avait pu lire au fond de mon cœur et comprendre que ce n’était ni la fortune ni la gloire que venait mendier, son œuvre à la main, ce jeune inconnu, mais que c’était l’amour et la vie que je lui demandais, je suis convaincu qu’il aurait imprimé le volume. Son cœur, au moins, lui en aurait rendu le prix !

CXIX

Je rentrai désespéré dans ma chambre. L’enfant et le chien s’étonnèrent, pour la première fois, des ténèbres de ma physionomie et de l’obstination de mon silence. J’allumai le poêle, j’y jetai feuille à feuille le volume tout entier, sans en sauver une page : « Puisque tu n’es pas bon à m’acheter un jour de vie et d’amour, m’écriai-je sourdement en le voyant brûler, que n’importe que l’immortalité de mon nom se consume avec toi ! Mon immortalité, ce n’est pas la gloire, c’est mon amour ! »

Le même soir, je sortis à la nuit tombante : je vendis le diamant de ma pauvre mère. Je l’avais gardé jusque-là, dans l’espoir d’en racheter le prix par mes vers et de lui rapporter son anneau intact. Je baisai furtivement et je mouillai de larmes ce diamant, en le remettant au lapidaire. Le marchand parut lui-même attendri ; il comprit bien que je n’avais pas dérobé ce diamant, à la douleur