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RAPHAËL

les pauvres et les malades de porter devant lui son trésor accumulé en œuvres au Dieu des miséricordieux. Il mourut, sans laisser d’héritage, dans une mansarde, sur un grabat. Les pauvres portèrent son corps. Ils lui donnèrent a leur tour la sépulture de la charité dans la terre commune. Ô sainte âme l que je vois encore briller d’ici sur ce visage de bonté et de satisfaction intérieure, tant de vertu n’eût-elle été qu’un mensonge pour toi ? te serais-tu évanouie comme le reflet de ma lampe sur ton portrait, quand ma main retire la lueur qui m’aide à te contempler ? Non, non, Dieu est fidèle ! Il ne t’aurait pas trompé, toi qui n’aurais pas voulu tromper un enfant !

CXXVIII

Le médecin s’attacha à moi du plus tendre intérêt. On eût dit que Julie lui avait communiqué une partie de sa tendresse. Il comprit bien mon mal, sans me laisser voir qu’il le comprenait. Il se connaissait trop en passion morale, pour ne pas en saisir les symptômes en nous. Il m’ordonna de partir sous peine de mort. Il me fit imposer par Julie son propre arrêt. Il lui communiqua ses craintes. Il emprunta la tendre autorité de l’amour pour m’arracher a l’amour. Il adoucit la séparation par l’espérance. Il m’ordonna d’aller d’abord quelque temps dans ma famille, puis de retourner aux bains de Savoie, où Julie me rejoindrait, pour sa santé, au commencement de l’automne. Il dénoua ainsi, pour nous sauver tous deux, une étreinte qui allait nous étouffer dans une même mort. Je consentis enfin à partir le premier. Julie jura qu’elle me suivrait de près. Hélas ! ses larmes, sa pâleur, le tremblement de ses lèvres, le juraient mieux que ses serments. Il fut convenu que je