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RAPHAËL

le sol. Nos voix, en répondant par de vaines formules de joie et d’admiration, trahissaient le vide des mots et l’absence de nos pensées ; elles étaient ailleurs !

En vain aussi nous nous assîmes tour à tour au pied des lilas les plus embaumés, sous les bras verts des plus beaux cèdres, sur les tronçons cannelés des colonnes les plus ensevelies dans le lierre, au bord des eaux les plus recueillies dans la pelouse de leurs bassins, pour y passer les longues heures du dernier entretien. À peine avions-nous choisi un de ces sites qu’une vague inquiétude nous forçait à le quitter pour en chercher un autre. Ici l’ombre, là la lumière, plus loin le bruit importun de la cascade, ou l’obstination du rossignol à chanter sur nos têtes, nous rendaient toute cette volupté amère et tout ce spectacle odieux. Quand le cœur est douloureux dans la poitrine, la nature entière nous fait mal. L’Éden lui-même serait un supplice de plus, s’il était la scène de la séparation de deux amants.

Enfin, lassés d’errer sans trouver un abri contre nous-mêmes depuis plusieurs heures, nous finîmes par nous asseoir auprès d’un petit pont sur un ruisseau ; nous étions assis un peu loin l’un de l’autre, comme si le bruit même de nos respirations nous eût été importun, ou comme si nous eussions voulu par instinct nous dérober l’un à l’autre le sourd murmure des sanglots intérieurs que nous sentions prêts à éclater dans nos poitrines.

Nous regardâmes longtemps avec distraction l’eau verdâtre et huileuse. Elle s’engouffrait lentement sous l’arche du petit pont ; elle entraînait tantôt une blanche feuille de muguet tombée du bord, tantôt un nid vide et cotonneux d’oiseau, que le vent avait secoué de l’arbre. Tout à coup, nous vîmes flotter, les ailes immobiles et renversées, le corps d’une pauvre petite hirondelle de printemps. Elle s’était noyée sans doute en buvant dans cette coupe avant que ses ailes fussent assez fortes pour la soutenir. Elle nous