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RAPHAËL

mieux qu’un cadran. Ma mère nous avait nourris, bercés, nous avait appris à marcher sous leurs feuilles. Mon père s’y asseyait, un livre à la main, au retour de la chasse, son fusil brillant suspendu à une de leurs branches, ses chiens haletants couchés près du banc. Moi-même j’y avais passé mes plus douces heures d’adolescence, avec Homère ou Télémaque ouverts sur l’herbe devant moi. J’aimais à m’y étendre sur le gazon tiède, accoudé devant le volume dont les moucherons ou les lézards me dérobaient quelquefois les lignes sous les yeux. Les rossignols y chantaient pour la maison, sans qu’on pût jamais découvrir leurs nids, pas même la branche d’où éclatait leur voix. Ce bosquet était la gloire, le souvenir, l’amour de tous. L’idée de le convertir en un petit sac d’écus, qui ne donnerait ni mémoire au cœur, ni joie ni ombre à la famille, ne serait venue à personne, si ce n’est à une mère mourant d’angoisse sur la vie de son fils unique ; cette idée vint à ma mère. Avec la promptitude d’instinct et la fermeté de résolution qui la caractérisaient, craignant aussi sans doute qu’un remords ne la saisît ou que mes tendres résistances ne l’arrêtassent si elle attendait pour me consulter, elle appela les bûcherons, à son réveil, elle vit mettre la cognée aux racines en pleurant et en se détournant, pour ne pas entendre la chute et le gémissement de ces vieux abris de sa jeunesse sur le sol retentissant et nu du jardin.

CXXXIII

Quand, le dimanche suivant, en revenant à M***, je cherchai de l’œil, du haut de la montagne, le groupe d’arbres qui tachait si agréablement la colline et qui dérobait au soleil une partie du mur grisâtre de la maison, je