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RAPHAËL

convulsivement entre mes doigts. Le paquet intact avait roulé de mon sein sur le plancher. Je l’ouvris avec mes lèvres, comme si j’avais craint de le profaner en brisant avec mes doigts ce cachet d’un message d’en haut. Il en roula sur mes genoux plusieurs longues lettres écrites de la main de Julie. Ces lettres étaient rangées par ordre de date.

Il y avait dans la première :

« Raphaël ! ô mon Raphaël ! ô mon frère ! pardonnez à votre sœur de vous avoir trompé si longtemps… Je n’ai jamais espéré vous revoir en Savoie !… Je savais que mes jours étaient comptés et que je ne vivrais pas jusqu’à ce bonheur !…

» Quand je vous ai dit : « Au revoir, » Raphaël, à la porte du jardin de Monceaux, vous ne m’avez pas comprise, mais Dieu me comprenait, lui. Je voulais dire : « À revoir ! à bénir ! à aimer éternellement au ciel !… »

» Enfant ! j’ai recommandé à Alain de vous tromper aussi et de m’aider à vous faire partir de Paris. Je voulais, je devais vous épargner ce déchirement de si près, qui aurait emporté un morceau de votre cœur et toutes vos forces !… Et puis, tenez… pardonnez-moi encore, je vous dis tout : je ne voulais pas que vous me vissiez mourir… je voulais un voile entre vous et moi quelque temps avant la mort !… Ah ! la mort est si froide !… Je la sens, je la vois, elle me fait horreur de moi-même !… Raphaël ! Je voulais laisser dans vos yeux une image de beauté que vous puissiez toujours contempler et adorer !… Mais maintenant, ne partez pas !… N’allez pas m’attendre en Savoie !… Encore quelques jours… deux ou trois peut-être… et vous n’aurez plus à m’attendre nulle part ! J’y serai, Raphaël ! Je serai partout et toujours où vous serez !… »

Cette lettre était toute trempée de larges gouttes de larmes. Elles avaient dépoli et durci le papier.