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LE TAILLEUR DE PIERRE

À droite du village et à quelque distance, un mamelon de sable rouge s’élève au bord de l’eau, au milieu des prés. L’industrie du meunier a profité de cet obstacle naturel pour opposer une digue au ruisseau et pour construire une écluse. Le moulin a pris de lui-même une forme plus paysagesque que celle qui lui eût été donnée par le pinceau capricieux d’un Salvator Rosa.

La nature est un grand artiste, quand on la laisse conformer elle-même ses moyens à son but. Ce moulin en est la preuve. Je ne passe jamais par ce village sans admirer cette combinaison irréfléchie, qui fait de cette construction du hasard un modèle de pittoresque raisonné. Ainsi, l’hiver la rivière déborde et noie les prés : il a fallu bâtir la maison au-dessus de ces débordements ; elle s’est assise par nécessité sur le rocher, d’où elle voit et d’où elle est vue. Il a fallu que le courant de l’écluse tombât sur les palettes de la roue du moulin pour faire mouvoir la meule : la maison a dû tourner un de ses flancs à la rivière pour tendre sa roue à l’eau ; l’écluse à mi-côte, l’eau qui s’en échappe en faisant cascade contre les murs, les mousses verdâtres qui s’y attachent et qui donnent aux soubassements l’apparence du vert antique ; les murmures et les ronflements de la chute du ruisseau impatient de jaillir de l’écluse, les scintillements de ses gouttes écumeuses à travers les branches et sur les feuilles trempées des vernes ; les rideaux de peupliers et de platanes qui ont poussé d’eux-mêmes, les pieds dans le ruisseau, et qui entre-croisent leurs rameaux de diverses teintes sur le toit de tuiles rouges comme un second toit ; la cavité au flanc de la maison, d’où le moyeu tend la roue à l’écluse et qui ressemble à une grotte sombre voilée de brume ; le colombier qu’il a fallu ajouter ensuite au moulin, parce que le pigeon suit le grain qui tombe ; la tour carrée qu’il a fallu élever d’un étage au-dessus du toit de la maison, pour que les ramiers reconnussent de loin leur retraite au-dessus des arbres ; le sen-