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DE SAINT-POINT.

au vent. Ils bordent d’une rangée de cariatides vivantes cette lourde galerie de pierres, comme les cigognes forment des créneaux vivants de leur blanc plumage au bord des toits des villages de l’Asie.

La vue s’étend de là, en descendant et en remontant, sur la plus belle partie de la vallée de Saint-Point. L’œil d’abord glisse sur des prés en pente rapide. Ils vont mourir dans une prairie nivelée par les eaux. Cette prairie est traversée au milieu par la rivière de la Vallouze. De gros noyers au feuillage de bronze, immobile comme des feuilles de métal, des peupliers blancs aux troncs tordus par les rafales et au feuillage plus chevelu et plus blanc que la tête d’un vieillard encore vert, des peupliers, ces cyprès d’Europe, des vernes, des bouleaux, des aunes interdits depuis vingt-cinq ans par moi à la serpe de l’émondeur d’arbres, penchés des deux bords de la rivière sur l’eau qu’ils aiment et qui les aime, forment, en s’entrelaçant sur son cours, une voûte élevée, flottante, capricieuse, de feuillages de toutes les teintes, véritable mosaïque de végétation. La moindre haleine de vent d’été balance tout ce rideau mobile et fait sortir des ondoiements, des souffles, des moires de feuillage, des volées d’oiseaux et des senteurs végétales qui désennuient les yeux, qui varient l’aspect et qui montent en légers bruits et en fugitives odeurs jusqu’à la galerie.

Après la rivière et la prairie, le regard commence à remonter par étages les flancs gras et renflés de la haute chaîne de collines qui sépare la vallée de Saint-Point de l’horizon du Mâconnais, de la Bresse, du Jura et des Alpes. Ce sont d’abord de grandes terres rougeâtres, profondes de sol, opulentes de végétation forte comme les fèves en fleur, les betteraves à larges feuilles vernissées, les pizettes touffues, sur lesquelles flottent au lever du soleil des flaques blanches de rosée ; puis quelques vergers entourés de haies de pruniers sauvages, sous lesquelles ru-