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LE TAILLEUR DE PIERRE

d’une sorte de divinité de visage humain, qui imposait à l’œil et qui faisait rentrer toute idée de vulgarité et de dédain dans l’âme. La ligne de son front était aussi élevée, aussi droite, aussi pure d’inflexions et de dépressions ignobles que les lignes du front de Platon dans ses bustes reluisants au soleil de l’Attique. Les muscles amaigris, creusés, palpitants des orbites de ses yeux, de ses tempes, de ses joues, de ses lèvres, de son menton, avaient à la fois le repos et l’impressionnabilité d’une jeune fille convalescente de quelque longue maladie ou de quelque secrète douleur. Les paupières de ses yeux, bordées de longs cils, se relevaient sur le globe bleu clair et largement ouvert des prunelles, comme la paupière de l’homme accoutumé à regarder de bas en haut et à fixer les choses élevées. Les cils jetaient une ombre pleine de mystère entre les bords de ses paupières et l’œil. La méditation et la prière pouvaient s’y abriter sans interrompre le regard. Son nez, droit et légèrement bombé au milieu par le réseau des veines entrevues sous une peau fine, se rattachait aux lèvres par des narines transparentes. Les plis de la bouche étaient souples, sans contraction, sans roideur ; ils fléchissaient un peu vers les bords sous le poids d’une tristesse involontaire, puis ils se relevaient par le ressort d’une fermeté réfléchie. Le teint avait la blancheur mate et saine du marbre exposé à l’air ; l’ombre forte de ses cheveux noirs flottant sur ses joues dans quelques gouttes de sueur en relevait la pâleur. Il penchait son visage un peu en avant, par la puissance habituelle de la réflexion plus encore que par l’attitude du métier. En marchant ainsi près de cet homme, entrevu de côté à la lueur du soleil qu’il me cachait et qui le vêtissait de son auréole de rayons, on sentait qu’on marchait à côté d’une âme. Tout pensait, tout sentait, tout aspirait, tout montait dans cette tête détachée du corps rustique qui la portait. On croyait voir le profil d’une pensée se détacher dans le soleil du