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LE TAILLEUR DE PIERRE

s’écartaient, le sentier remontait à droite vers le bord de la gorge et vers le jour par une pente rapide. Je laissai à ma gauche quelques flaques d’eau verte au fond de ce qu’on appelle un abîme en langage de montagnes. Quand je fus parvenu au niveau du sol, la demeure du tailleur de pierre était devant moi.

C’était une masure informe de pierres sèches sans ciment, adossée à un grand bloc carré de roche grisâtre sur laquelle on voyait encore debout, mais sans porte, sans fenêtre et sans toit, les murs de la troisième cabane du hameau des Huttes, que j’avais visitée autrefois. La plate-forme de cette roche, qui avait servi de piédestal à cette hutte de chevrier, était jonchée de tuiles pulvérisées par les pieds des animaux, de tronçons de solives dont une extrémité portait encore sur le mur et dont l’autre bout pendait sans support vers le sol, enfin de vieux lambeaux de chaumes déchirés du toit et tourbillonnant au vent. La suie noire contre un pan de briques autrefois crépi marquait encore la place du foyer où cette famille de montagnards avait vécu, aimé, tari. Derrière ces murailles en ruine, le rocher, creusé en lit de torrent par l’écoulement des eaux de source et des pluies, formait une sorte de canal naturel d’où la petite cascade pleuvait à petit bruit dans le ravin. C’était de ce côté qu’ouvrait jadis la fenêtre basse de la cabane tournée au nord. Un immense lierre, les racines dans l’eau, encadrait déjà de mon temps cette fenêtre et ce côté du mur. Maintenant, il remplissait l’ouverture tout entière d’une gerbe touffue de ses feuilles et de ses grappes noires, comme s’il eût porté des fruits de deuil sur la ruine de la maison qui l’avait nourri. Il s’accrochait aux solives, aux jambages de la cheminée, à l’entablement de la porte ; il se hérissait en corniches débordantes au sommet de chaque pan de mur et sur les rebords même de la roche, comme un chien couché sur son maître mort, qui l’étreint de ses pattes, qui le couvre de son corps, et qui