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LE TAILLEUR DE PIERRE

futiles, de tous les serviteurs et de toutes les nécessités d’une civilisation insatiable de besoins et de satisfaction de besoins factices ; je reportai mon regard sur le mobilier de Claude des Huttes, et je sortis en disant :

« Voilà donc le résumé des besoins d’un homme ! »

Je refermai la porte et j’appelai du dehors ; mais le creux seul du rocher redit le nom de son habitant. Je m’acheminai alors plus haut, çà et là, pour découvrir l’homme et les chèvres. Un sentier imperceptible à tout autre œil qu’à l’œil du chasseur, tracé par une légère inflexion du gazon sous les pas, et par quelques fougères dont une ou deux feuilles avaient été récemment brisées par la corne des chevreaux, me guida au revers d’un mamelon entouré de pierres grises, à une centaine de pas environ par-dessus la cascade. Un énorme bloc de rocher, semblable à celui qui portait l’ancienne maison, sortait de terre comme une tour de géant au milieu de ce mamelon. Une herbe fine comme le velours de soie verte croissait alentour. Je fis lentement le tour de ce rocher, dont le sommet me paraissait inabordable sans échelle ; puis je trouvai une espèce de cassure entre ses parois, et des degrés naturels et inégaux qui en facilitaient l’accès. Je les gravis pour découvrir de plus haut tout ce qui pouvait habiter ces sommets et ces gorges, où la terre, la pierre et l’eau semblent vouloir se dérober sous les plis multipliés du sol. Parvenu au sommet, une pente douce me conduisit, du côté du midi, au pied de ce rocher que je croyais de toutes parts inaccessible. Il était de niveau, de ce côté, avec une petite enceinte de pelouse fleurie, toute murée de roches moussues entassées les unes sur les autres, comme un pan de jardin préservé par le hasard dans l’écroulement d’un vieil édifice. En mettant le pied sur cette pelouse et en la parcourant d’un regard, j’aperçus tout ce que je cherchais.

La pelouse avait la pente d’un toit de chaume pour laisser glisser les neiges d’hiver et écouler les eaux de la