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LE TAILLEUR DE PIERRE

Moi. — Et vous répondez : « C’est Dieu. »

Lui. — Bien entendu, monsieur ; ça ne peut pas se faire soi-même : car, avant de faire une chose, il faut être, n’est-ce pas ? Et avant d’être, ça n’était pas : donc ça ne pouvait pas se faire. Ça n’est pas plus fin que ça. Du moins voilà comment je me suis dit la chose ; mais vous devez la savoir de bien d’autres manières plus savantes que celle-là.

Moi. — Non. Toutes les manières aboutissent à la vôtre. On peut les dire en plus de paroles, non en plus de sens. Des effets sans cause ; une chaîne immense qui remonterait et descendrait jusqu’à l’infini des élévations et des profondeurs de l’espace, qui porterait des mondes et des mondes suspendus en tout sens à ses innombrables anneaux, et qui n’aurait point de premier chaînon ! Voilà les mondes sans Dieu, mon pauvre Claude. Une obscurité que vous ne voudriez pas dire tout haut à votre chien, de peur de révolter l’instinct d’une bête, n’est-ce pas ? Ceux qui ne voient pas Dieu ne m’ont jamais paru des hommes. Ce sont à mes yeux des êtres d’une espèce à part, nés pour contredire la création, pour dire non là où la nature entière dit oui ; des ombres intellectuelles que Dieu a créées sous forme humaine pour faire mieux ressortir la splendeur de son évidence par l’absurdité de leur aveuglement. Ils ne me scandalisent pas, ils m’attristent ; je ne les hais pas, je les plains ; ce sont les aveugles de l’âme : Dieu leur rendra les yeux.

Lui. — Est-ce qu’il y a des hommes comme ça ?

Moi. — On le dit ; je ne l’ai jamais cru. Cependant, n’avez-vous pas entendu parler d’hommes vivants dont la peau est morte, qui ne sentent ni le chaud ni le froid, ni l’eau ni le feu, ni les mille impressions de l’air qui font frissonner ou s’épanouir notre peau à nous ?

Lui. — Oui, les malheureux qu’on appelle les ladres dans nos montagnes.

Moi. — Eh bien, puisqu’il y a de ces hommes qui n’ont