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ACTE II, SCÈNE II

Aux lointaines lueurs que ce mot me fit luire,
Ignorant, je sentis le besoin de m’instruire.
Un pauvre caporal d’un de leurs régiments,
Des sciences des blancs m’apprit les éléments.
Je réduisais d’un sou ma vile nourriture
Pour payer jour par jour ses leçons d’écriture.
Sitôt que le rideau de mes yeux fut levé,
Je vis plus clairement ce que j’avais rêvé ;
La volonté me vint avec l’intelligence,
Je sentis mieux le juste et conçus la vengeance.
Les noirs pour leur couleur n’avaient que du mépris ;
Pour prendre autorité sur ces faibles esprits,
Il fallut emprunter à nos tyrans eux-même
La force dont leur sang était pour nous l’emblème.
Parmi les Espagnols de l’île je m’enfuis ;
Au métier des combats avec eux je m’instruis,
Je paye avec mon sang les grades que j’achète,
Le marquis d’Hermona m’accorde l’épaulette ;
L’indépendance enfin me donne le signal :
J’étais parti soldat, je revins général.
On me suit : les Français, minés par la discorde,
Acceptent humblement le pacte que j’accorde ;
Ils s’embarquent laissant un homme de ma peau,
Un diadème au front caché par mon chapeau.
Ma double autorité tient tout en équilibre ;
Gouverneur pour le blanc, Spartacus pour le libre,
Tout cède et réussit sous mon règne incertain,
Je demeure indécis ainsi que le destin,
Sûr que la liberté, germant sur ces ruines,
Enfonce en attendant d’immortelles racines.

Il se tait un moment.

Mais si la France envoie un maître à des sujets,
Elle fait elle-même éclater mes projets :
Esclave ou tout-puissant.