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LE TAILLEUR DE PIERRE

tr’ouvrir légèrement cette fine toile, on voyait d’abord sa bouche rose, puis ses joues un peu pâles, puis ses grands yeux bleus tout éblouis du soleil, qui regardaient d’un regard si clair et si doux le visage de la mère, que sa fille, si elle en avait eu, n’aurait pas pu la regarder autrement. Ça nous faisait rire, ma mère et moi, et nous plaignions bien tout bas, en nous-mêmes, le pauvre Gratien de ne pas pouvoir rire de ce qui nous faisait rire et voir ce que nous voyions dans ces moments-là. Il me disait : « Comment est-elle donc ? Et qu’est-ce que font la mère et Denise, qui vous fait rire ? » Et je lui disais : « Elle est assise, elle est couchée à la renverse, elle a la tête sur le tablier, elle a le visage caché dans ses mains, elle a les yeux aveuglés par ses cheveux, le vent les enlève comme une poignée de feuilles mortes, le houx lui a laissé tomber une de ses grappes rouges sur la bouche. » Et ça l’amusait, le pauvre enfant ! Et quand la toilette de Denise était faite, et qu’elle avait mis ses souliers et sa robe de laine noire, nous allions tous les trois nous promener dans les orges, cueillir des coquelicots, ou bien nous asseoir, les jambes pendantes, sous les châtaigniers, au bord du ravin où l’eau sanglote ; car ça plaisait à l’enfant aveugle d’entendre au moins chanter l’eau, tomber les châtaignes oubliées aux branches sur l’herbe au souffle chaud du vent du printemps, ou partir les merles, qui rasaient son visage du vent de leurs ailes en sifflant.

Mais je la trouvais bien quasi aussi avenante les jours ouvriers, quand elle n’avait ni sa robe des dimanches, ni ses souliers d’été, ni ses sabots d’hiver, ni ses cheveux lissés et bien relevés derrière son cou par son ruban de velours rouge ; son sarrau de laine de mouton noir tissé par elle pendant l’hiver avec la navette, serré autour de sa taille par une agrafe de corne, et qui lui tombait à gros plis jusqu’aux chevilles du pied ; sa chemise de toile de chanvre à courtes manches relevées jusqu’aux coudes, bouffante sur