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DE SAINT-POINT.

L’essaim s’en allait en tourbillonnant dans l’air limpide au-dessus de sa tête, cherchant à la fois à fuir et à rester dans l’enclos. Il semblait combattre entre deux instincts contraires : l’un de liberté, l’autre de regret. Claude prit l’essaim à deux mains quand il fut posé sur un prunier, et il le logea sans être piqué dans le tronc creusé d’un sapin qu’il avait préparé à ses mouches.

« Voilà une nouvelle famille qui m’est venue cette semaine, monsieur, me dit-il. Elle n’est pas venue sans que quelqu’un l’ait appelée et lui ait dit l’heure. Voyez, ajouta-t-il en me montrant une vingtaine de plantes de sainfoin en fleur : la table était mise pour tous ces invités à la noce du bon Dieu, n’est-ce pas ? ajouta-t-il.

» — Et la maison aussi, lui dis-je en lui montrant le tronc d’arbre creusé et dressé par lui sur deux pierres. Mais comment, Claude, retirez-vous votre visage intact et vos mains sauves de cette nuée d’aiguillons volants qui me perceraient, moi, de mille et mille dards ?

» — Eh ! c’est qu’elles me connaissent de mère en filles, de ruches en essaims, et même avant que de sortir au soleil pour la première fois. Il paraît que leur mère ou bien Dieu leur dit d’avance : « Ne faites pas de mal à celui qui vous veut du bien. » On croit que ça n’a pas d’éducation, les bêtes ; on se trompe, allez. Pourquoi donc est-ce que les volées de corneilles se laissent approcher par celui qui porte un soc de charrue luisant sur l’épaule, et se sauvent de celui qui porte un fusil sous le bras ? Est-ce que vous croyez que leurs père et mère ne leur ont pas appris ce que c’était que la poudre ? Et les petits poissons, monsieur, je me suis bien souvent amusé les dimanches, quand j’étais petit, à en prendre, au bord du ruisseau, avec la main, à les mettre dans mon chapeau et à les verser bien loin, bien loin sur l’herbe. Eh bien, quoique si loin du lit du ruisseau, et quoique la hauteur de l’herbe leur cachât la vue de l’eau, ils y retournaient tous d’eux-mêmes sans se trom-