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DE SAINT-POINT.

un peuple ; auparavant nous n’étions qu’un troupeau. »

Moi. — Et vous étiez-vous donc fait une religion à vous-même, alors, pour honorer et servir Dieu avec ceux-ci ou avec ceux-là, dans une église, dans un temple ou dans une association de frères s’entendant entre eux pour rendre hommage et obéissance au souverain Maître ?

Lui. — Non, monsieur, je ne m’en étais pas fait encore en ce temps-là, ni avec moi-même ni avec les autres ; je priais et je servais tout seul, selon mon idée, parce que, voyez-vous, j’allais continuellement de chantier en chantier, de ville en ville, d’un pays à un autre, et que je fréquentais toute espèce de société parmi mes pareils, qui avaient toute espèce de religion, ici philosophes, ici catholiques, ici protestants, ici rien du tout. Chacun disait ses raisons et maudissait les autres. Je n’étais pas capable de juger entre eux. Seulement, je me disais en moi-même : Quel malheur et quelle honte que tous ces gens-là se repoussent ainsi les uns les autres au nom de leur père à tous ! Et quel crime et quelle impiété qu’ils invoquent tous les gendarmes, les bourreaux, les échafauds, pour emprisonner, torturer, tuer ceux qui ne voient pas le ciel de la même couleur qu’eux ! Si quelqu’un est véritablement du bon Dieu parmi eux, c’est bien sûr le plus miséricordieux. » Je n’avais donc pas d’autre catéchisme alors, monsieur, que celui-là pour m’éclairer à travers toutes ces religions que je traversais de contrée en contrée : « Adore et prie avec tout le monde, et ne crois qu’avec toi-même. » Car c’est toujours bon d’adorer et de prier avec les hommes ; mais quelquefois c’est mauvais de croire comme eux quand ils croient des choses contre nature, contre la grandeur et contre la bonté de Dieu ! « En un mot, que je me disais, laisse dire ceux-ci et ceux-là, sans te disputer avec eux sur ce que tu ne sais pas, ni eux non plus. Crois avec tous ce qui est bien, et ne crois avec personne ce qui est mal ! » Voilà le catéchisme d’un pauvre homme que je m’étais fait,