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TOUSSAINT LOUVERTURE.

Plus sûrs aux mains d’autrui que dans leurs propres mains ?
Crois-tu que les Français, maîtres de ces rivages,
Viennent pour adorer vos droits sur vos visages,
Et, de l’indépendance assurant les progrès,
Admirer tout armés la révolte de près ?
Non, tu ne rêves pas ce stupide délire ;
L’esclave au cœur du maître a trop appris a lire ;
Tu sais qu’on ne voit pas les bœufs baisser leurs cous
Sans que l’on soit tenté de les charger de jougs !
Que le maître et l’esclave auront dans l’attitude
De leur ancien état l’invincible habitude…
Replacer face à face ainsi deux ennemis,
Deux droits encor saignants, l’un perdu, l’autre acquis,
C’est mettre l’étincelle et la poudre en présence ;
C’est tenter à la fois l’homme et la Providence !
Des ferments rapprochés la prompte explosion
Te punirait bientôt de ton illusion.
Le Français, enhardi par tes molles faiblesses,
Usurpera du pied le terrain que tu laisses ;
On verra s’élever des Spartacus nouveaux ;
Tes plus fiers lieutenants deviendront tes rivaux.
Rebelle aux yeux des blancs, aux yeux du peuple traître,
Ton allié bientôt se lèvera ton maître,
Et lorsque de son cœur le noir t’aura banni,
L’île sera sans chef et tout sera fini !

toussaint.

Avant que sous leur joug le chef se laisse abattre,
Il aura combattu.

le moine.

Il aura combattu.Pourquoi veux-tu combattre ?
Dans ce premier succès par vos droits remporté,
Trop de sang n’a-t-il pas payé la liberté ?
Ton mérite au regard du Dieu qui le déteste
N’est-il pas d’en avoir épargné quelque reste,