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jocelyn.

L’âme éprouve un instant ce qu’éprouve notre œil
Quand, plongeant sur les bords des mers près d’un écueil,
Il s’essaye à compter les lames, dont l’écume
Étincelle au soleil, croule, jaillit et fume,
Et qu’aveuglé d’éclairs et de bouillonnement,
Il ne voit plus que flots, lumière et mouvement ;
Ou bien ce que l’oreille éprouve auprès d’une onde
Qui des pics du mont Blanc s’épanche, roule et gronde,
Quand, s’efforçant en vain, dans cet immense bruit,
De distinguer un son d’avec le son qui suit,
Dans les chocs successifs qui font trembler la terre,
Elle n’entend vibrer qu’un éternel tonnerre.


Et puis ce bruit s’apaise, et l’âme qui s’endort
Nage dans l’infini sans aile, sans effort,
Sans soutenir son vol sur aucune pensée,
Mais immobile et morte et vaguement bercée,
Avec ce sentiment qu’on éprouve en rêvant
Qu’un tourbillon d’été vous porte, et que, le vent
Vous prêtant un moment ses impalpables ailes,
Vous planez dans l’éther tout semé d’étincelles,
Et vous vous réchauffez, sous des rayons plus doux,
Au foyer des soleils qui s’approchent de vous.
Ainsi la nuit en vain sonne l’heure après l’heure :
Et quand on vient fermer la divine demeure,
Quand sur les gonds sacrés les lourds battants d’airain
Tournent en ébranlant le caveau souterrain,
Je m’éloigne à pas lents, et ma main froide essuie
La goutte tiède encor de la céleste pluie !…