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deuxième époque.

Séminaire de ***, 15 février 1793.

Tandis que nous vivons au fond d’un monde à part,
En Dieu seul, pour Dieu seul, et sous son seul regard,
L’autre monde, animé d’un autre esprit de vie,
Ou d’un souffle de mort, de colère et d’envie,
Mugit autour de nous, et jusqu’en ce saint lieu
Poursuit de ses fureurs les serviteurs de Dieu.
Un grand peuple, agité par l’esprit de ruine,
Fait écrouler sur lui tout ce qui le domine ;
Il veut renouveler trône, autels, mœurs et lois :
Dans la poudre et le sang tout s’abîme à la fois.
Oh ! pourquoi suis-je né dans ces jours de tempête
Où l’homme ne sait pas où reposer sa tête,
Où la route finit, où l’esprit des humains
Cherche, tâtonne, hésite entre mille chemins,
Ne pouvant ni rester sous un passé qui croule,
Ni jeter d’un seul jet l’avenir dans son moule ?
Métal extravasé qui bouillonne et qui fuit,
Court, ravage et renverse, et dévore et détruit,
Et, consumant la main qui touche à son cratère,
Déracine le siècle et l’homme de la terre !
Heureux du moins, heureux que la lueur de foi
Vive encor dans mon œil et marche devant moi.
Et, séparant mes pas de la foule élancée,
Trace une route à part à ma pauvre pensée,
Route qui mène ailleurs que celle d’ici-bas,
Et que Dieu même éclaire, et qui ne finit pas !