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deuxième époque.

Grotte des Aigles, 18 avril 1793.

Le sommeil m’a surpris sous le nocturne dôme ;
L’alouette a chanté mon réveil ; mon royaume
Sous un jour de printemps en fleurs m’est apparu,
Et du matin au soir mes pas l’ont parcouru.
Qu’il est vert ! Et pour qui, sur ces hauts précipices,
Dieu créa-t-il un jour ce vallon de délices,
Et, d’un triple rempart élevé de ses mains,
En ferma-t-il l’accès et la vue aux humains ?


Là le gouffre tonnant où le glacier se verse,
Et qu’à travers la mort le pont de roc traverse ;
Ici ces pics glacés, qui ne fondent jamais,
L’entourent à demi de leurs neigeux sommets ;
Et plus bas, à l’endroit où son lit qui serpente
Semble au penchant des monts vouloir unir sa pente,
Le rocher tout à coup l’arrête et le retient,
Et d’un escarpement dans les airs le soutient ;
Sur ses parois, polis par l’égout des ravines,
Nulle herbe, nulle fleur ne pend par les racines ;
Et la voix des bergers, qu’on voit à peine en bas,
Se perd dans la distance et ne m’y parvient pas.
À l’abri de ces flots, de ces rocs, de ces neiges,
Ne craignant des mortels ni surprise ni piéges,
Je trouve comme l’aigle, en mon aire élevé,
Tout ce que le désir d’un poëte eût rêvé :