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troisième époque.

Ce duvet de la joue où la rougeur colore
La moindre impression qu’un regard fait éclore ;
Son œil humide et bleu laissait lire au plein jour
La calme volupté d’un mutuel amour :
Pour cacher une honte, une ombre, une pensée,
Sa paupière aux longs cils n’était jamais baissée,
Mais son regard posait confiant, affermi,
Comme pose une main dans la main d’un ami.
Un réseau noir serrait ses cheveux dans sa maille ;
Deux tresses seulement descendant sur sa taille,
Où quelques blanches fleurs des prés s’entremêlaient,
Sur l’herbe derrière elle en blonds anneaux roulaient ;
Un étroit corset rouge embrassait sa ceinture ;
Une robe aux plis lourds et de couleur obscure
Lui venait à mi-jambe et laissait voir ses piés
Nus et blancs, sur la mousse au soleil appuyés,
Comme dans des débris dont la terre est couverte
Deux pieds de marbre blanc brillent sur l’herbe verte ;
Ses doigts tressaient l’osier, tandis que son regard
Dans le vague du pré s’égarait au hasard.


L’heure ainsi s’en allait l’une à l’autre semblable,
L’ombre tournait autour des troncs noueux d’érable,
Le bœuf rassasié sur l’herbe se couchait,
Des dormantes brebis l’agneau se rapprochait,
Sans que les deux amants, ivres de solitude,
Changeassent de bonheur, de regard, d’attitude.
On voyait, à la paix de leur lent entretien,
Que leur cœur n’était pas vide comme le mien ;
À peine quelques mots, de distance en distance,
S’écoulaient de leur lèvre et troublaient le silence,
Comme une eau qui s’enfuit d’un bassin transparent
S’échappe goutte à goutte et coule en murmurant.