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troisième époque.

Grotte des Aigles, 28 août 1793.

Nos cœurs se sont ouverts ; mon jeune compagnon
M’a confié ce soir son histoire et son nom :
Il est fils d’un proscrit, il se nomme Laurence ;
Sa jeune mère est morte en lui donnant naissance ;
Il n’a ni sœur ni frère ; à seize ans parvenu,
Dans toute son enfance il n’a jamais connu
D’autres soins, d’autre amour, d’autre front sur la terre,
Que les soins, que l’amour, que le front de son père.
Heureux avec lui seul et près de lui toujours,
Jusqu’à ces temps de meurtre il a passé ses jours
Dans un manoir désert d’une aride campagne,
Sur les bords orageux de la mer de Bretagne.
Quand l’orage civil en ces lieux retentit,
Pour ses lois et son Dieu son père combattit :
Vaincu, forcé de fuir ses champs héréditaires,
Cachant sous un faux nom son nom et ses misères,
Il avait traversé la France avec son fils ;
Du haut de ces sommets qu’il visita jadis,
D’espoir et de bonheur l’âme déjà remplie,
Ses yeux voyaient de près les champs de l’Italie,
Quand, aux bords de l’Isère aperçu, des soldats
Par de vils délateurs sont lancés sur ses pas :
Ils allaient échapper dans la nuit ; nuit funeste !
Ses larmes l’étouffaient, et je savais le reste.