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jocelyn.

De la grotte, 1er décembre 1793.

Des aiguilles de glace où s’éclairent ces monts
L’année a pour six mois retiré ses rayons ;
Le soleil est noyé dans la mer de nuages
Qui brise jour et nuit contre ces hautes plages,
Et jette, au lieu d’écume, à leur cime, à leurs flancs,
La neige que la bise y fouette en flocons blancs.
Le jour n’a qu’un rayon brisé par les tempêtes,
Qui s’étend un moment tout trempé sur ces faîtes,
Et que l’ombre qui court vient soudain balayer,
Comme le vent la feuille au pied du peuplier.
Il semble que de Dieu la dernière colère
Abandonne au chaos ces cimes de la terre :
L’éternel ouragan torture ces sommets,
Les vagues de brouillards n’y reposent jamais ;
Un sourd mugissement, qu’une plainte accompagne,
Roule dans l’air, et sort des os de la montagne.
C’est la lutte des vents dans le ciel ; c’est le choc
Des nuages jetés contre l’écueil du roc ;
C’est l’âpre craquement de la branche flétrie
Qui sous les lourds glaçons se tord, éclate et crie ;
Du corbeau qui s’abat l’aigre croassement ;
Des autans engouffrés le triste sifflement ;
Les bonds irréguliers de la lourde avalanche
Qui tombe, et que le vent roule en poussière blanche ;
L’éternel contre-coup des chutes des torrents
Qui sillonnent les rocs sous leurs bonds déchirants,