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jocelyn.

Je vis son front rougir et ses lèvres trembler,
Et deux gouttes de pleurs entre ses cils rouler,
Comme ces pleurs des nuits qui ne sont pas la pluie,
Qu’un pur rayon colore, et qu’un vent tiède essuie.
— Que se passe-t-il donc, Laurence, aussi dans toi ?
Est-ce qu’un poids secret t’oppresse ainsi que moi ?
— Oh ! je sens, me dit-il, mon cœur prêt de se fendre ;
Mon âme cherche en vain des mots pour se répandre :
Elle voudrait créer une langue de feu,
Pour crier de bonheur vers la nature et Dieu.
— Dis-moi, repris-je, ami, par quelles influences
Mon âme au même instant pensait ce que tu penses ?
Je sentais dans mon cœur, au rayon de ce jour,
Des élans de désirs, des étreintes d’amour
Capables d’embrasser Dieu, le temps et l’espace ;
Et pour les exprimer ma langue était de glace.
Cependant la nature est un hymne incomplet,
Et Dieu n’y reçoit pas l’hommage qui lui plaît,
Quand l’homme, qu’il créa pour y voir son image,
N’élève pas à lui la voix de son ouvrage :
La nature est la scène, et notre âme est la voix.
Essayons donc, ami, comme l’oiseau des bois,
Comme le vent dans l’arbre ou le flot sur le sable,
De verser à ses pieds le poids qui nous accable,
De gazouiller notre hymne à la nature, à Dieu :
Créons-nous par l’amour prêtres de ce beau lieu !
Sur ces sommets brûlants son soleil le proclame,
Proclamons-l’y nous-même et chantons-lui notre âme !
La solitude seule entendra nos accents :
Écoute ton cœur battre, et dis ce que tu sens.