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quatrième époque.

1er novembre 1794.

Ce soir, un doux retour des vents chauds du midi
Balayait de nos monts le sommet attiédi ;
Triste et tendre soupir que ce vent nous apporte,
Dernier baiser d’adieu sur une saison morte.
Le ciel était profond et pur comme une mer,
Et dans ces profondeurs on voyait s’allumer
Les foyers de soleils aux lueurs argentines,
Comme un feu de berger le soir sur les collines ;
La lune sur un pic brillait comme un glaçon,
Et sur les eaux du lac courait en blanc frisson ;
Des chênes dépouillés de leurs cimes touffues
Les squelettes dressaient leurs longues branches nues ;
Les feuilles que roulaient les secousses du vent
Ondoyaient sous nos pas comme un marais mouvant,
Et les bois morts tombés bruïssaient sur la terre
Comme les ossements qu’un fossoyeur déterre.
À ces craquements sourds des cimes, à ces coups
Des tempêtes, nos cœurs se serraient malgré nous,
Et nous nous rapprochions pas à pas, en silence,
Du rocher où dormait le père de Laurence.
Quand nous fûmes auprès, je ne sais quel penser
Monta de cette tombe et vint me traverser :
— « Pauvre Laurence ! dis-je ; en t’enlevant ton père
» Dieu te fit dans moi seul retrouver père et mère ;
» Et, tant que je vivrai, tout leur amour pour toi,
» Multiplié du mien, plane et t’entoure en moi.