Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 4.djvu/229

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
228
jocelyn.

8 décembre, le soir.

Elle a jeté sur tout un regard interdit ;
Puis, d’une voix éteinte et tendre, elle m’a dit :
« Il est donc vrai ! tu sais !… Si je n’ai plus qu’une heure
» À vivre, oh ! Jocelyn, pardonne, et que je meure !
» Je t’ai trompé ; mon père ainsi l’avait voulu :
» Je devais respecter mon serment absolu.
» Il m’avait interdit à son moment suprême
» De révéler mon sexe à personne, à toi-même.
» Soit que, sous cet habit qui dût me protéger,
» Il crût de son enfant les jours moins en danger,
» Soit qu’il eût je ne sais quelle autre prévoyance,
» Je devais à son ordre aveugle obéissance.
» Mais qu’il m’en a coûté de me cacher de toi !
» Oui, j’aurais dû penser que j’outrageais ta foi,
» Que nous n’étions pas deux, que mon âme et la tienne
» N’ont rien qui ne se mêle et qui ne s’appartienne.
» Faut-il te l’avouer ? Souvent je le pensai,
» Souvent je résolus, souvent je commençai ;
» Mais toujours, au moment de trahir mon mystère,
» Je ne sais quelle main me forçait à me taire.
» J’avais trop attendu déjà, je n’osais plus ;
» Mon front couvert de honte était rouge et confus.
» Puis je savais ta vie et ta pieuse enfance ;
» Je redoutais l’effet de cette confidence,
» J’avais peur du regard que tu me jetterais,
» Du son de voix, du mot froid que tu me dirais :